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L’art de s’ennuyer dans Notes from a Small Island (“Notes d’une petite île”), de Bill Bryson

Il y a deux semaines, le Québec a manqué d’électricité pendant des jours. Il y a eu des chanceux qui n’ont rien vu évidemment, mais moi c’est pire; j’ai été dans le noir pendant trois jours. (Notez le bon jeu de mots.) Je ne pouvais ni recharger mon téléphone, ni regarder la télé, ni refroidir ma nourriture, ni chauffer ma nourriture, ni me chauffer moi, ni même me faire un café. Après la première journée excitante où je me sentais un peu comme en camping, je suis devenue tannée. J’avais froid, je voulais de la lumière artificielle. Et surtout, je m’ennuyais.

Je m’ennuyais, parce que tous mes moyens de divertissement avaient été coupés, sauf la lecture. Et vous savez que j’adore lire, mais après quelques heures, on veut quand même faire autre chose. Mais il n’y avait rien à faire d’autre. Alors je me mettais sous la couverture sur le sofa, et je regardais dans le vide. Je prenais des longues marches avec rien sur les oreilles. Je me couchais tôt, je me levais tôt.

La méditation du verglas

Et je crois que j’aurais difficilement pu choisir un meilleur moment pour lire Notes from a Small Island, le récit d’un américain (l’auteur, Bill Bryson) qui voyage à travers l’Angleterre. Ça a été publié en 1995, et on l’oublie parfois, mais les téléphones cellulaires n’existaient pas vraiment dans ce temps-là. Il y a d’ailleurs une scène où le narrateur se moque d’un fatigant dans le train qui, tout fier de son téléphone mobile qu’il traîne partout avec lui dans sa mallette, appelle tout le monde juste parce qu’il peut. “Salut chérie, juste te dire que je vais être deux minutes en retard.” Et ce petit fait-là transparaît partout dans le livre :

  • Pour savoir comment se rendre à une certaine ville, il doit consulter le dépliant avec les horaires d’autobus.
  • Pour choisir un hôtel, il se promène dans la rue, en choisit un qui a l’air adéquat et demande à la réception comment coûte une chambre.
  • Pour choisir sa prochaine destination, il consulte un livre un peu vieux qui, parfois, parle d’attraits qui n’existent plus.
  • Dans le train, il regarde par la fenêtre, dort ou parle à ses voisins.
  • Quand il arrive dans une ville plus éloignée et plus ennuyante que prévu, il s’assoit et regarde la mer pendant des heures en attendant le prochain transport.
  • Dans les bars, il lit son livre.
  • Pour passer le temps, il visite des musées.
  • Parfois il se présente à un musée ou autre attraction quelconque pour s’apercevoir que c’est fermé aujourd’hui.
  • Il sort visiter même s’il pleut et qu’il fait froid, parce qu’il n’y a littéralement rien à faire dans sa chambre d’hôtel.
  • Heureusement qu’il voyage en Angleterre, parce que si les gens ne parlaient pas anglais il serait plutôt mal pris.

Et moi qui lisais ce livre à la chandelle, qui sortais parler aux employés d’Hydro-Québec pour savoir ce qui se passait, qui commentais sur les gens qui passaient devant ma fenêtre et qui parlais de la météo à mon chum tout aussi désoeuvré que moi, je me sentais une étrange familiarité avec ce vieil homme au sens de l’humour extraordinaire qui devait travailler pas mal plus fort que moi pour se distraire, et qui avait pas mal plus de temps que moi pour penser, tout simplement.

À lire aussi :

We’re Already in the Metaverse, un article particulièrement bien écrit de The Atlantic qui parle justement du fait qu’on ne s’ennuie plus jamais.


En anglais seulement :