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L’Amant

Dans la série “Livres qu’il faut bien finir par lire un jour”, L’Amant de Marguerite Duras.

J’ai une opinion partagée par rapport à ce roman. Mais d’abord, un petit résumé.

Résumé

Le roman est une autofiction, c’est-à-dire que l’auteure affirme raconter sa vie sans toutefois prétendre à la vérité totale. On peut donc assumer que le récit est largement tiré de ses propres expériences, mais il faut garder en tête que certains détails peuvent très bien être fictifs.

L’auteure raconte son enfance en Chine, et tout particulièrement un épisode marquant pour elle : son aventure, à 15 ans, avec un homme 12 ans plus vieux. Relation qu’on pourrait difficilement qualifier de saine, qui est largement qualifiée d'”amoureuse” (mais c’est un point dont j’aimerais parler plus tard), très charnelle, et conflictuelle. En effet, ni la famille de la narratrice, dysfonctionnelle à la base, ni la famille de l’amant n’approuvent cette relation. Elle est blanche, il est Chinois. Cette romance est vouée à l’échec, ce qui attriste les amants qui acceptent pourtant cette inéluctabilité.

La famille de l’auteure est source de grande noirceur. Le frère aîné, pour le dire simplement, est dangereux, et la narratrice a un profond désir de le tuer. Le petit frère ne parle jamais et se fait constamment intimider par son grand frère. La mère aime ses enfants comme elle le peut mais est incapable de leur fournir un environnement sain. Personne ne se parle, les émotions sont réprimées. Cet environnement familial a certainement des répercussions sur la relation qu’entretien la narratrice avec son amant.

L’amant

Parlons un peu de cette soi-disant relation amoureuse. Une grande partie du succès du roman vient certainement d’elle, une relation décrite comme passionnée, initiatique, conflictuelle et qui expose les partenaires à leur propre vulnérabilité. L’âge est un aspect qui exacerbe cette passion : l’enfant (car elle a 15 ans), vierge, est visiblement fascinée par les mains expertes de cet homme adulte. Elle dit “aime[r] l’idée qu’il ait beaucoup de femmes, celle d’être parmi ces femmes confondues”. Elle a des seins d’enfant : quand il les mange, «il devient brutal, son sentiment est désespéré». Quand ils font l’amour pour la première fois, il pleure. (Que c’est troublant, faire l’amour à un enfant.) Alors qu’on pensait assister à une sorte d’enlèvement quand il l’emmène vers un endroit inconnu dans sa limousine, on croit presque assister à un revirement de situation quand c’est lui qui est torturé de douleur, et elle, détachée, qui prend sa jouissance.

Leur relation, essentiellement basée sur des nuits de sexe torride, se termine quand la narratrice doit retourner en France. L’amant se fait marier par son père à une femme riche. Plusieurs années plus tard, il l’appelle, et lui dit qu’il l’aime encore. C’est comme ça que le roman se termine.

Et maintenant, quoi? Que dois-je tirer, en tant que lectrice, de cette histoire?Je trouve que des sujets importants auraient pu être abordés ici, et que l’auteure a raté sa chance. En décrivant sa relation avec un homme bien plus âgé alors qu’elle venait tout juste d’entrer dans l’adolescence comme une expérience passionnée qui lui a fait connaître sa sexualité et l’a fait cheminer comme femme, elle a laissé toute la question de l’amour et de la différence d’âge de côté, sous le couvert d’une écriture éthérée, énigmatique, et teintée de mélancolie.

L’amour

Dans ce roman, et dans beaucoup d’autres oeuvres littéraires et cinématographiques, l’amour est décrit comme un sentiment qui nous tombe dessus. On ne peut rien contre lui, il est incontrôlable, et s’il est suffisamment puissant, s’il s’agit d’un amour “vrai”, on ne devrait pas pouvoir s’en remettre. Il faudrait donc, selon cette logique, affronter vents et marées pour s’unir à l’élu de son coeur, et au diable les conventions. C’est ce type de réflexion qui pousse bien des gens à poursuivre des relations toxiques au nom de «l’amour». Je crois aussi que c’est au nom de cet «amour» que des hommes trop âgés se croient en droit de mettre leur bon jugement de côté pour séduire des filles trop jeunes, et c’est en brandissant ce concept tordu qu’ils réussissent à obtenir l’approbation d’une bonne partie de la société. C’est une vision dangereuse.

L’amour n’est pas une sorte de bulle mystique qui englobe deux personnes et qui les fusionne l’un à l’autre. Ce n’est pas une fatalité. Comme tout autre sentiment, l’amour est créé par des pensées, et ces pensées, on peut les choisir.

L’amour est un choix. Si nous avons des sentiments amoureux pour quelqu’un, c’est que nous entretenons à son égard une série de pensées qui créent en nous de l’amour. Si les seules pensées qu’on peut avoir pour l’autre personne sont de l’ordre de l’espoir et de l’illusion et qu’on a un profond désir de se foutre la face dans l’autre, ce n’est pas de l’amour. On appelle ça tout simplement du désir sexuel.

Quand la fille a 15 ans et qu’elle s’est fait dire toute sa vie que c’est ça l’amour, c’est normal qu’elle y croit. Mais un adulte de 27 ans a normalement accumulé un peu d’expérience de vie. Il devrait pouvoir être capable de mettre son désir de côté et se demander si coucher avec une enfant est vraiment dans le meilleur intérêt de tout le monde.

Et quand l’homme âgé pleure en faisant l’amour, quand cet amour est qualifié d’«abominable» et de «désespéré», quand la fille dit qu’elle a suivi l’homme parce qu’elle «devai[t] le faire, que c’en était comme d’une obligation», c’est probablement parce que l’adulte n’a pas pris ses responsabilités, et que ce n’est pas de l’amour.

Je ne dis pas que l’expérience de l’auteure n’est pas valable et qu’elle est à mettre aux vidanges. C’est une expérience riche et qui vaut la peine d’être racontée. Mais justement, avec 50 ans de recul (Marguerite Duras a écrit L’Amant à 70 ans), j’aurais trouvé bien plus pertinent qu’elle partage son expérience de façon à ce que ses lecteurs puissent en tirer quelque chose. J’ai l’impression que ce qu’elle a plutôt fait, c’est les laisser sur un vague sentiment de mélancolie et sur la naïve impression que l’amour, ça doit être passionné, que plus le chemin est tortueux et difficile, plus l’expérience est profonde, et surtout, que l’amour n’a pas d’âge. Même quand on parle d’une enfant.

Je dois ajouter pour terminer que même si la relation amoureuse est un thème central du livre, ce n’est pas le seul, mais c’est celui qui a pris chez moi toute la place. J’aurais pu également parler du contexte historique et familial, qui prennent une grande importance également, et j’aurais besoin pour ça d’une relecture et d’une analyse plus poussée. Ce qu’à vrai dire, je n’ai pas l’intention de faire.