L’immense fatigue des pierres
Toujours sur le thème des romans sur la Deuxième Guerre mondiale, j’ai dû lire dans un cours ce texte de Régine Robin. Fascinante femme : née en France d’une famille juive polonaise en 1939, anciennement professeure à l’UQAM en sociologie, historienne, qui a écrit une histoire de la linguistique et qui écrit des romans. Elle a donc vécu la Shoah dans les premières années de sa vie. Le livre en parle, mais j’ai décidé de ne pas l’inclure dans ma liste précédente, car il est tellement original que le classer serait ne pas lui rendre pleinement hommage.
Résumé
Il est bien difficile de vous proposer un résumé concluant. On peut toutefois dire que le livre est composé de textes qui s’apparentent à des nouvelles, mais que des noms, des personnages et des lieux reviennent. Dans un de ces textes, clairement inspiré des souvenirs de l’auteur, une petite fille juive doit se cacher dans un garage pour éviter les rafles. Dans un autre, la petite-fille d’une femme qui a vécu la Pologne avant la Shoah est en conflit avec sa mère et tente de renouer avec la mémoire de sa grand-mère. Dans un autre, un professeur de littérature se crée sur Internet un alias qui s’avérera un peu trop réaliste. Dans un autre enfin, une écrivaine tente d’écrire sur les membres disparus de sa famille.
Tous ces textes ont un point en commun : ils portent sur la mémoire. Tous ces textes abordent, par le biais de la fiction, les enjeux auxquels sont confrontés les survivants de la Shoah et les descendants de ces survivants, notamment les enjeux d’identité, de mémoire et de langue.
Impressions
Ce livre m’a beaucoup impressionnée. Régine Robin a mis le doigt sur un aspect qui m’intéressait beaucoup sans le savoir : la difficulté de représenter correctement des souvenirs chargés d’émotion. Comment, en effet, peut-on passer à des lecteurs étrangers à notre réalité des émotions que nous éprouvons ou que nous avons éprouvées nous mêmes? Comment construire un récit qui rend hommage à ces gens du passé et à ces souvenirs sans tomber dans la mièvrerie? C’est très difficile. Et dans le cas d’un événement aussi vaste et traumatique que celui de la Shoah, si on n’est pas nous-mêmes survivants et qu’on peut difficilement rajouter quelque chose aux nombreux témoignages existants, peut-être est-ce tout simplement impossible.
Alors l’auteure a décidé de sortir de ça carrément. Plutôt qu’une autobiographie, elle a écrit un roman. Plutôt que de construire un récit, elle en a écrit plusieurs, de formes variées. Plutôt que d’essayer de nous tirer des larmes, elle a tenté de rendre compte, de nous laisser comprendre par nous-mêmes.
J’ai trouvé ce livre brillant. Il est dense. Il m’a fait beaucoup réfléchir. Il mériterait certainement une deuxième lecture.