Une femme libre
Je cherchais quelque chose à lire chez mon arrière-grand-mère en France. Je n’avais pas beaucoup de choix. La bibliothèque était surtout garnie d’encyclopédies et de livres de recettes, et les quelques romans étaient tous d’auteurs différents. Sauf pour une auteure dont j’ai trouvé trois livres, un hit en proportion : Danielle Steel. Celle-ci n’a pas seulement eu du succès dans la bibliothèque de mon arrière-grand-mère. Elle a rédigé 190 livres, vendu 650 millions d’exemplaires à travers le monde, et a même obtenu un record Guinness pour être restée sur la liste des best-sellers du New York Times pendant 381 semaines consécutives. Elle a même affirmé travailler de 20 à 22 heures par jour. C’est une machine. J’ai donc choisi de lire le plus féministe des trois, car ma grand-mère avait quatre soeurs : Une femme libre.
Annabelle est une jeune fille plutôt misérable du début des années 1900. Une époque horrible pour les femmes. Même si elle riche (son père était propriétaire d’une banque prospère), belle (une blonde svelte aux yeux blonds) et intelligente (elle se passionne pour la médecine et fait du bénévolat dans un hôpital dans ses temps libres), elle n’a aucun avenir. Elle approche de la vingtaine, et c’est déjà le temps pour elle de se marier. Elle s’y prépare tranquillement, et vit sa vie ennuyeuse de bourgeoise.
Puis, c’est le début des catastrophes. On est en 1912. Elle est malade et doit rester chez elle, mais sa famille embarque dans le Titanic pour New York. Son père et son frère meurt. Sa mère est réchappée, mais leur vie est détruite. Elles doivent toutes deux porter le deuil pendant un an, ce qui nuit sérieusement aux espoirs d’Annabelle de se trouver un mari.
Heureusement, elle a un prétendant. Un bon parti, du monde des affaires aussi. Ils sont tellement amis, comme frère et soeur, qu’elle ne s’aperçoit pas qu’il lui fait la cour.
À la fin de son deuil, il lui déclare son “amour”, et ils se marient. Mais ils ne deviennent jamais plus qu’amis. Deux ans après, Annabelle est toujours vierge. Pas que ça la dérange tant que ça : ses amies ont toutes des grossesses horribles, et certaines y laissent leur vie. Elle décide de laisser le temps faire les choses, pendant que sa mère continue à faire de la pression pour qu’elle fasse un enfant.
Puis, autre catastrophe. Son mari lui avoue l’inavouable : il est gai. Depuis des années, il a un amant, et il a attrapé la syphillis. Il demande le divorce, pour « qu’elle puisse refaire sa vie ». Mais elle ne veut pas, elle l’aime. Alors c’est lui qui invoque le divorce, et tout le monde pense qu’Annabelle a commis l’adultère. La pire honte qui existe. Tous ses amis la renient. Entretemps, sa mère meurt de chagrin. Elle est absolument seule au monde.
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Ça, c’est la première partie, ennuyeuse et assez déprimante. Désagréable à lire à voix haute, qui plus est. Je ne sais pas si c’est à cause de la traduction, mais visiblement, Danielle Steel n’avait pas le temps de réviser longuement ses textes. Ses phrases sont basiques, banales, sujet-verbe-complément. J’achève la première partie, un peu déprimée.
Puis, la deuxième moitié du livre commence, et ça s’accélère formidablement. Puisqu’Annabelle n’a plus rien, plus de famille, plus d’amis, plus de mari, elle se lance dans sa passion : la médecine. C’est la Deuxième Guerre mondiale qui commence, et elle décide de s’engager comme bénévole dans un hôpital. Très vite, on s’aperçoit qu’elle est douée, et on lui propose de poursuivre des études de médecine. Ce qu’elle fait.
Pendant la guerre, elle est appelée au front. Encore une fois, le destin s’acharne sur elle : elle se fait violer pour un soldat soûl, qui meurt peu après. Et bien sûr, elle tombe enceinte.
Il n’y en aura pas de facile. Elle se fait renier, violer, trahir, briser le coeur. Tous les malheurs qui peuvent se produire lui tombent dessus.
Mais elle est forte. Mais après tout, la vie est belle. Sa petite s’avère être un ange tombé du ciel. La mère du soldat violeur est riche et a un grand coeur. Elle devient médecin, elle lance sa propre clinique. Elle devient heureuse, totalement autonome, elle réussit, et elle est respectée. Et elle rencontre même un gentil journaliste à la toute fin, qui pourra peut-être enfin lui faire découvrir l’amour…
Résultat : j’ai lu ce best-seller en deux nuits. Je l’ai fini heureuse, pleine d’espoir et d’énergie, et franchement impressionnée.
Pas si étonnant que ce soit devenu un best-seller.