Un écrivain, un vrai
Quelle ironie que la bibliothèque du Plateau Mont-Royal soit si pauvre, elle qui est dans le quartier le plus hipster et branché de Montréal. On a au moins une certitude en y allant : on ne trouvera pas ce qu’on cherche. Mais, ô miracle!, j’ai trouvé ce petit roman. Il était dans ma liste, j’avais glané la critique dans je ne sais plus quel magazine. Je n’avais pas d’autre raison de le lire, aucune raison de continuer. Mais les phrases ont déboulé. Après une page, je haletais déjà. Essayer d’arrêter, ç’aurait été comme essayer de débarquer d’une voiture en mouvement : impossible.
Le métier d’écrivain n’est plus ce qu’il était. Les gens modernes recherchent l’instantané, ils veulent interagir, partager ce qu’ils aiment, influer sur le contenu : ils veulent avoir une relation avec ce qu’ils lisent. Alors quand Gary Montaigu gagne l’International Book Prize, il décide de changer le monde. Il va mettre son oeuvre sur l’écran, dans une téléréalité : Un écrivain, un vrai. Son roman deviendra un “roman participatif”. Tout le monde pourra le voir écrire, suivre la progression de son roman, commenter, partager, “aimer” sur les réseaux sociaux. Un genre d’Occupation double littéraire.
Quelle idée grandiose. Convaincu de faire avancer l’art, Gary ouvre sa maison aux caméramans 24 heures sur 24. Celle-ci devient un champ de bataille. Sa femme Ruth, qui gère sa carrière, commence à s’habiller chic à toute heure du jour. Ils essaient d’oublier les caméras et de mener leur vie habituelle. Les producteurs les convainquent d’ajouter au décor une jeune journaliste émotive pour créer une petite tension sexuelle.
Évidemment, sa femme devient un monstre possessif et jaloux. Le succès de son mari lui monte à la tête, et elle est convaincue d’en être la seule responsable. Son métier à elle, c’est de gérer la carrière de son mari. Elle lit et commente ses textes par-dessus son épaule. Leur couple n’est plus qu’hypocrisie, ils se demandent s’ils se sont jamais vraiment aimés.
Évidemment, Alana, la journaliste placée dans le casting, tombe amoureuse de l’écrivain. Quand Gary se prête au jeu et l’embrasse, elle est convaincue qu’il l’aime. Elle est déchirée et vulnérable.
Et Gary devient fou. Envahi dans sa tête et dans son espace vital, il perd complètement sa raison d’être. Il plonge dans un tourbillon d’idées noires, se renferme, écrit de plus en plus mal, jusqu’à toucher le fond. Il ne veut plus continuer la téléréalité, mais il est trappé. Les producteurs lui courent après, sa femme lui court après, les téléspectateurs lui courent après. Il ne voit pas d’autre solution que de courir lui aussi, dans la rue, en buvant du whisky, jusqu’à ce qu’il tombe.
Eh oui, il y avait une morale dans ce livre si tragique. Et elle répétée encore et encore par Gary Montaigu dans sa descente aux enfers. Il n’y a plus de place pour la pensée profonde, les écrivains ne sont plus entendus, ils doivent s’adapter au public, les idées nouvelles ne peuvent surgir, le monde est trop superficiel…
Ce n’est pas ça qui m’a émue. Mais la relation de couple tordue était horriblement réaliste, le sentiment d’étouffement m’a pris à la gorge, tout ça à travers des phrases qui filaient à 100 km/h. On n’a tout simplement pas le temps de respirer. Et c’est ce qui m’a tenue accrochée, jusqu’à la fin.
Quant à savoir si ça vaut la peine d’aller à la bibliothèque du Plateau Mont-Royal pour le dénicher…
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Pia Peterson
Actes Sud
215 p.