Un dimanche à la piscine à Kigali
Un militaire qui devient journaliste, on n’en rencontre pas tous les jours. Martin Forgues en est un que je respecte beaucoup. Après 12 ans dans les Forces armées canadiennes, il a décidé de vivre sa plume, et il a écrit dans de nombreux magazines. Mais il semblerait qu’il ait un nouveau coup de coeur récemment : l’écriture d’essais. Son tout dernier s’intitule Gil Courtemanche, une juste colère. En lisant cet entretien à propos de son livre dans La Presse, j’ai eu l’idée de lire le roman de Gil Courtemanche qui avait contribué à revirer la carrière de Martin Forgues. Et, surprise, je l’avais dans ma bibliothèque…
Bernard Valcourt, le personnage principal de Un dimanche à la piscine à Kigali, est un peu à blâmer si Martin Forgues s’est risqué dans le dur métier de journaliste : c’est le typique journaliste engagé. Il arrive à Kigali un peu désoeuvré, avec l’idée de participer à une émission de télé qui devait démarrer là-bas. Cette émission ne verra jamais le jour. Mais il reçoit de plein fouet l’atrocité du génocide rwandais.
En gros, il y a les Hutus et les Tutsis. Un certain médecin belge a un jour affirmé dans un gros livre que les Hutus vivaient sur le territoire depuis toujours, mais que les Tutsis étaient probablement des faux noirs, des Blancs tannés par le soleil au fil des années. Il en fait même une description physique assez précise :
Le Hutu, paysan pauvre, est court et trapu et il a le nez caractéristique des races négroïdes. […]
Le Tutsi, éleveur nomade, est grand et élancé. Sa peau est d’un brun clair qui s’explique par ses origines nordiques. […]
Par cette fatale description, tous les grands et minces sont considérés Tutsis. Et les Hutus, y compris ceux qui forment le gouvernement, ont décidé que ceux-ci étaient des “cafards” qu’il fallait éliminer.
Valcourt arrive en plein milieu de ce cauchemar. Il tente de décrire l’horreur dans ses carnets, puis l’amour arrive sous la forme d’une belle rwandaise, officiellement Hutue, mais que sa minceur et son élégance trahissent comme Tutsie. Il décidera de rester avec elle malgré le chaos qui les entoure.
Est-ce que c’était agréable à lire? Je dirais que non. J’ai été ébranlée tout le long. J’ai pleuré au moins trois fois. Attention aux pages 109 à 111, ce sont les pires pages que j’ai lues depuis très longtemps.
Ce qui tue, c’est que l’horreur alterne constamment avec la poésie. Car Gil Courtemanche écrit bien, remarquablement bien. Ce n’est jamais cliché, mais c’est quand même très romantique et romancé. L’histoire d’amour entre Valcourt et la belle rwandaise (nommée Gentille, oui, c’est un drôle de nom) est magnifique. Certes, il est plus vieux qu’elle et il lui offre son expérience, à elle qui est si naïve, mais ils s’adorent, et ce qu’elle découvre avec lui est plus profond qu’on pourrait s’y attendre et très bien formulé. Un chapitre, ils sont couchés sous les étoiles à réfléchir sur la beauté de leur amour ; le suivant, les cadavres des femmes Hutus violées et mutilées s’empilent sur le bord de la route, par-dessus ceux de leurs enfants et de leurs maris. À en donner la nausée.
Si vous ne connaissez pas encore le génocide rwandais, c’est peut-être une belle manière de l’aborder. Mais des livres comme ça, on n’en lit que quelques-uns par année, et on prend le temps d’y penser après. Sinon, on se sent coupable. Et on ne veut pas que des atrocités pareilles se répètent.