Les Bienveillantes

Je ne sais pas exactement quelle mouche m’a piquée pour me décider à lire Les Bienveillantes de Jonathan Littell. J’avais fait un rêve où j’étais une juive qui me faisait tabasser par des nazis, et moi, horrifiée au réveil, j’ai décidé que j’allais confronter mes peurs. J’ai des bulles comme ça des fois.

Et comment ça se fait que j’avais Les Bienveillantes sous la main pour “confronter mes peurs”? Parce que mon cher beau-père (que je salue) m’a donné ça il y a quelques années… comme cadeau de Noël! Il n’y a que lui qui peut donner des cadeaux pareils. “Tiens, une brique de 1400 pages qui parle de l’une des pires atrocités de l’histoire moderne en beaucoup de détails! Joyeux Noël!”

Et pourtant, contre toute attente, j’ai “aimé” ce livre. J’ai eu mal au coeur, mais j’ai aussi ri quelques fois, et surtout, il m’a fait beaucoup réfléchir.

Résumé

On est dans la tête d’un SS pendant la Deuxième Guerre mondiale. Je pense que c’est un résumé adéquat.

Impressions

J’ai vraiment failli arrêter ma lecture après une trentaine de pages. Le livre débute par quelques scènes d’exécution de suite tellement graphiques et tellement bouleversantes que j’en ai eu littéralement la nausée. Je les ai lues avant de me coucher et pour réussir à dormir sans trop d’horribles cauchemars j’ai dû écouter un vidéo d’animaux cutes sur Youtube. Mon amoureux se demandait pourquoi je m’infligeais une lecture pareille, et j’avoue que moi aussi. J’ai décidé d’attendre encore quelques pages et que si ça continuait comme ça, j’allais arrêter. Je veux bien m’éduquer, mais il faut penser à sa santé.

Heureusement, les meurtres graphiques se sont espacés et le livre a pris plus de profondeur. J’ai suivi notre cher narrateur, le Dr. Aue, dans son quotidien de nazi. J’ai appris à connaître ses collègues, j’ai appris que si tous étaient chargés d’exécuter des juifs, ceux qui y prenaient plaisir étaient plutôt mal vus. Dr. Aue n’était pas de ceux-là. Pas qu’il avait de l’empathie pour les Juifs, non, il était très antisémite comme tout le monde, mais les meurtres le rendaient physiquement malade, il n’arrivait pas très bien à les tolérer. Il faisait son travail, c’était un sale boulot, mais que voulez-vous, c’était la guerre, il faisait ça pour le bien de l’Allemagne.

Puis, je me suis rendue compte que le narrateur a des particularités assez flagrantes : il couche avec des hommes parce qu’il avait juré fidélité à sa soeur jumelle avec qui il avait une relation incestueuse quand il était petit (un serment tout à fait unilatéral, sa soeur est mariée et ne veut qu’oublier toutes ces niaiseries d’enfant). Le régime nazi était sévèrement contre l’homosexualité et il se serait fait exécuter si ses moeurs sexuelles avaient été découvertes, mais il ne se prend pas trop la tête avec ça. Il ne tient pas tant que ça à la vie de toute façon.

Clairement, il avait déjà des enjeux au début de la guerre, mais les choses s’empirent. À force de conditions épouvantables, d’horreurs innommables et surtout après s’être fait tirer une balle dans la tête, il devient de plus en plus fou. Cela donne lieu à des scènes tellement délirantes qu’elles m’ont fait sourire. Une chose qui est sûre, c’est qu’on ne s’ennuie pas avec ce livre-là.

J’ai vu que ce livre s’était fait critiquer pour avoir “humanisé” un SS. Je crois que ces personnes qui avancent ça n’ont pas lu le livre et n’ont pas compris le point du tout. Certes, les SS étaient des humains, nier ça c’est de se mettre la tête dans le sable. Certes, ils n’étaient pas tous des psychopathes, c’est plus compliqué que ça. Mais le fait qu’on souligne le fait qu’un être capable d’atrocité est un humain aussi ne fait pas que cet humain est aimable. Le narrateur est haïssable. ET c’est un humain.

Je crois que c’est d’ailleurs le point du livre : être humain n’est pas une qualité morale. Ce qui nous donne notre “humanité” n’est pas le faire d’appartenir à notre espèce en particulier, c’est le fait qu’on est capables de réflexion, d’éducation, et qu’on est capable d’apprendre des erreurs du passé. Mais si on est élevé tout croche, avec des valeurs dangereuses, alors ça donne des choses comme l’Holocauste. Du point de vue biologique, l’humain n’a pas évolué depuis 80 ans. Mais on peut espérer avoir appris de nos erreurs.

On peut l’espérer, mais ce n’est pas gagné. Le Devoir soulignait cette semaine que le tiers des Québécois ne sait pas trop ce que c’est que l’Holocauste. Pendant ce temps, en France, il y a un candidat d’extrême-droite ouvertement raciste qui recueille beaucoup trop d’appuis et qui fait passer Marine le Pen pour une modérée. D’où l’intérêt de ne pas réduire les nazis à de simples psychopathes. Et d’où l’intérêt de continuer à lire des livres comme Les Bienveillantes.