Lourdes, de Catherine Lemieux
Écoutez, je ne sais pas pourquoi j’avais ce livre dans ma liste (comme pour à peu près tous les livres que je lis. Il faut que je règle ça.) Mais l’avantage de cette ignorance, c’est qu’à chaque fois, je n’ai aucune idée dans quoi je m’embarque. Dans le cas de Lourdes, j’ai été très agréablement surprise. Il a le ton baveux de Royal (Jean-Philippe Baril Guérard), mais traite du monde littéraire, que je connais, contrairement au domaine juridique. J’ai eu l’exquise sensation d’être comprise. Si vous êtes un peu familière avec le monde universitaire et que vous avez été exaspérée par la langue de bois qui peut dominer, je vous parie que vous allez adorer.
Résumé
Lourdes est une jeune étudiante qui traverse l’Atlantique pour faire un séjour d’études dans une Université non nommée, quelque part en Europe. Elle travaille sur une poète dite féministe, et elle espère, grâce à son séjour, comprendre en quelque sorte le secret de cette auteure qui la fascine, et du même coup, se comprendre elle-même.
La majeure partie du roman se déroule lors d’une conférence, intitulée “Laboratoire du Néo-Moi Féminisant”, où des experts littéraires exposent leurs théories sur le travail de la poète en question. Lourdes assiste en tant que préposée au bar de grignotines, prête à absorber toute la sagesse de ces grands académiciens.
Est-ce que cette expérience l’amène plus près de la vérité? Disons que c’est sujet à discussion. Mais ce qui est sûr, c’est que la psyché de Lourdes n’en est pas sortie indemne.
Impressions
Il faudrait sûrement qu’on vous paye pour vous convaincre d’assister à une conférence sur la force féminine d’une poète fictive. Pour celle-ci toutefois, j’aurais payé pour y être.
Je ne sais pas comment Catherine Lemieux a fait pour reproduire aussi bien le langage littéraire stupide qu’on entend fréquemment dans le domaine, sans que le lecteur sente clairement qu’on lui passe une petite vite, mais sans non plus laisser place à quelconque tentative de prendre ce discours au sérieux. Le discours lui-même est cohérent, on sent que ça s’en va quelque part et c’est ce qui nous donne envie de continuer, mais en même temps, quelle vacuité! Lire ces grands penseurs le déblatérer du haut de leur égo surdimensionné était vraiment drôle. Je me suis amusée comme une petite folle.
Je suis le bon public : je suis linguiste, mais au baccalauréat, j’ai aussi étudié en littérature. Et quoique je ne le regrette pas (c’était un élément dans ma “bucket liste”), disons que mon passage en littérature m’a définitivement convaincue de ne pas continuer là-dedans. J’ai eu quelques bons cours, dans lesquels j’avais vraiment l’impression d’apprendre ce qui faisait qu’un texte donne telle impression au lecteur, ce qui lui donne sa pertinence et son originalité, comment il reflète le contexte social dans lequel il a été écrit, etc. C’est aussi dans mes cours de littérature que j’ai appris à écrire des textes cohérents et sans faute, de n’importe quelle longueur et dans des temps records.
Mais j’ai aussi eu un nombre gênant de cours où j’avais l’impression que de supposés experts s’amusaient à faire des affirmations non fondées avec beaucoup de confiance. Une analyse psychanalytique d’un roman québécois, faite par un doctorant (qui passait donc ses journées à passer le même texte au peigne fin pour trouver des arguments à son hypothèse), et certaines discussions de classe où certaines personnes, toujours les mêmes, s’exprimaient, m’ont particulièrement marquée.
Je soupçonne que Catherine Lemieux a eu une expérience similaire à la mienne. Sauf qu’elle, elle l’a utilisée à bon escient : pour développer son art (elle écrit vraiment très bien), et pour critiquer le domaine. C’est brillant, et jouissif.