Enfance
Un de mes cours de littérature cette session-ci est sur le thème de l’enfance. On doit donc lire un livre on ne peut plus approprié : Enfance. C’est un récit autobiographique de Nathalie Sarraute, dans lequel elle tente de se rappeler les 11 premières années de sa vie.
J’avais déjà découvert son talent pour illustrer quel impact un mot de travers, une hésitation, un silence, peut avoir sur une conversation dans sa pièce de théâtre Pour un oui ou pour un non. Ça se produit constamment quand on est adultes. Imaginez ce qui arrive quand on ajoute à cela un cerveau d’enfant et des dizaines d’années de distance. Avec l’aide d’une interlocutrice qui (je viens juste de le découvrir) est sa propre voix, Sarraute tente de faire resurgir consciemment des souvenirs qui apparaissent souvent sans avertissement, sans contexte, très chargés émotionnellement, et de se demander : est-ce vraiment cela qui s’est passé?
Impressions
Ça paraît peut-être dans mon ton, je ne frémis pas du tout d’enthousiasme. Dans mon expérience, les souvenirs d’enfance sont délicats, parce que c’est très personnel. Ils sont chargés d’émotion pour ceux qui les ont, mais pour les autres, il n’y a rien de plus banal, même si c’est ceux d’une bonne auteure. Quand la narratrice parlait de l’étrange lien qu’elle avait avec son père ou sa mère, je peux imaginer un peu parce que j’ai des parents aussi, mais jamais je ne pourrai tout à fait comprendre. Ses souvenirs ne sont pas les miens. La nostalgie qui exsude de chaque coin de rue de sa ville d’enfance ne m’atteint pas vraiment. Et honnêtement, sa vie n’était pas très palpitante.
Et puis, j’aime bien les points de suspension, mais pas quand il y en a dans chacune des phrases, pendant presque 300 pages. Le petit effet de surprise qu’ils créent au début se volatilise en un temps assez record. Un exemple :
Je peux courir, gambader, tourner en rond, j’ai tout mon temps… Le mur du boulevard Port-Royal que nous longeons est très long… c’est seulement en arrivant à la rue transversale que je devrai m’arrêter et donner la main pour traverser… Je devance la bonne pour avoir le temps d’emplir mes poumons, ce qui me permettra de ne pas respirer l’atroce odeur… elle me donne aussitôt la nausée… qui se dégage de ses cheveux imbibés de vinaigre.
– Enfance, de Nathalie Sarraute, p. 18
Je comprends, ça exprime ce que ça veut exprimer, l’hésitation, le tâtonnement, l’exploration. Mais je n’ai pas voulu lire à voix haute comme je le fais d’habitude parce que j’avais l’impression de manquer d’air, et j’avais hâte de passer à autre chose.
J’avoue que j’ai eu un peu honte quand, au moment d’écrire ses lignes, j’ai fait une petite recherche et j’ai découvert que le mystère du deuxième interlocuteur n’était pas si épais que ça. Je me suis demandée à quelque reprise si c’était un ami? de la famille? un ami imaginaire, peut-être? Et non, c’était elle-même. Comme toute bonne littéraire autre que moi aurait deviné en deux secondes. Ou comme toute littéraire plus motivée que moi à élucider cette petite énigme.