Deux romans québécois sur la Deuxième Guerre mondiale
Même si la Deuxième Guerre mondiale ne s’est pas déroulée en sol québécois, elle a marqué la nation. De nombreux citoyens se sont portés volontaires et en sont revenus transformés, des femmes ont commencé à travailler, des familles ont vécu des deuils. Les romans québécois de l’époque en parlent souvent indirectement, en adoptant le point de vue des civils, mais rares sont ceux qui en parlent de front, en adoptant le point de vue des soldats.
Dans le cadre d’un cours, j’ai lu deux livres marquants de cette dernière catégorie. Voici ce que j’en ai pensé.
Neuf jours de haine
L’auteur, Jean-Jules Richard, s’est porté volontaire dans l’armée en 1944, à l’âge de 33 ans. En 1946, il a été blessé, puis rapatrié. Journaliste à la pige à Radio-Canada, il a écrit plusieurs romans, et a co-scénarisé la série Le Canada en guerre, de l’ONF. C’est donc dire que son expérience l’a marqué.
Même si le récit est qualifié de roman, il s’agit d’un typique récit de guerre. Jean-Jules Richard s’affiche comme combattant, et de ce fait, assume sa crédibilité pour raconter l’histoire : les soldats dont il parle, il les connaissait, et il en était un.
Récit du front, Neuf jours de haine décrit les opérations militaires au jour le jour, par les points de vue de plusieurs soldats de la « compagnie C ». Il n’y a pas un point de vue qui est privilégié, on passe d’un soldat à l’autre, plutôt rapidement. Conséquence : on s’attache peu aux personnages. Quand l’un d’eux meurt, on n’en ressent pas une grande peine. C’est un peu étrange de rester indifférent à des drames, mais d’une certaine manière, cette indifférence fait qu’on peut mieux comprendre le point de vue de ceux qui vivent la guerre. Il faut rester fort. Il faut continuer à avancer.
Ce n’est pas un récit qui se veut larmoyant, mais factuel. On voit à travers les yeux de soldats qui avancent dans un champ de bataille sans vraiment comprendre pourquoi, on voit même à travers les yeux des morts, comme dans une étrange scène ou l’esprit d’un soldat tué flotte au-dessus du terrain et commente le tout, mais très rarement on a le point de vue des civils. C’est donc une vision extrêmement étroite, mais c’est fait exprès. Ça démontre l’aveuglement des soldats. Ils participent à la guerre, mais ils ne la comprennent pas, car la guerre est incompréhensible.
S’il s’agit d’un roman, il ne faut pas s’attendre à une histoire. Les éléments sont mis bout à bout sans structure précise. C’est pour mimer la nature de la guerre, brutale, inassimilable, inintelligible.
Ça m’a pris du temps à apprécier ma lecture. L’écriture est un peu étrange, et le désintéressement est facile. Mais elle m’a marquée : certaines images me sont restées en tête, et j’en ai gardé une impression étrange mais tenace.
Les Canadiens errants
Jean Vaillancourt aussi était un vétéran, mais quand il s’est engagé, il était beaucoup plus jeune que Richard : quand la guerre s’est terminée, il n’avait que 23 ans. Il a publié quelques articles dans La Presse, mais Les Canadiens errants est son seul roman.
Dans Les Canadiens errants, l’auteur veut démontrer que la guerre n’était pas étrangère, mais bien ancrée dans le Québec. D’abord par le titre : « Le Canadien errant », c’est le titre d’une chanson d’Antoine Gérin-Lajoie, en hommage aux Patriotes exilés après l’échec des Rébellions de 1837-38. Ensuite, par la langue, très orale :
« On dirait que les gens de ces vieux pays-là, y sont plus heureux que nous autres. Qu’ils ont pas nos soucis, ou qu’ils s’en fichent. C’est souvent pauvre comme du sel, et pourtant, avec le peu qu’ils ont, on dirait qu’ils savent mieux prendre la vie que nous autres. Qu’est-ce que t’en penses, Xavier ?
– Moé non plus j’ai pas de soucis, Câlice. C’est comme ça qu’y faut vive.
Ce propos lui a attiré les critiques lors de la parution de son livre. Comme si on était attachés à l’idée que la guerre, c’est exotique, que ce n’est pas chez nous que ça se passe, que ça ne nous concerne pas vraiment.
Ce roman est peut-être plus accessible que Neuf jours de haine. Les personnages nous sont plus sympathiques; on a accès à leurs pensées, à leurs sentiments, et à leur passé. Les soldats, ici, ne sont pas que des soldats. L’écriture est plus poétique.
Et surtout, le roman introduit un aspect inusité : le retour des soldats à la fin de la guerre. Alors que la propagande les avait poussé à aller combattre, à leur retour, personne ne sait quoi faire d’eux. Alors qu’au moins, à la guerre, il y avait la solidarité entre les hommes, au retour, ils sont véritablement perdus. Blessés, traumatisés, abîmés, ils n’arrivent jamais à se réintégrer aux civils. Ils errent.
Conclusion
Les Canadiens errants est, je crois, plus facile d’approche. Il est plus humain, plus touchant. Mais il y a quelque chose dans Neuf jours de haine qui m’a marquée : il est singulier. L’écriture, le récit, les scènes de guerre, tout était bizarre. Je ne peux pas prétendre comprendre quelque chose à la guerre : et c’est Neuf jours de haine qui, paradoxalement, me l’a fait réaliser.
Ces livres sont malheureusement difficiles à trouver. Ils ne sont pas sur leslibraires.ca, et pas toujours disponibles sur Amazon. Gardez donc l’oeil ouvert.
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