
Les Vestiges du jour, de Kazuo Ishiguro
Ces temps-ci, peut-être parce que j’écris moins et donc que ça me vient moins facilement, je me rends particulièrement compte à quel point c’est difficile, écrire. Alors devant un roman comme Les Vestiges du jour, je suis tout simplement émerveillée. Vous allez comprendre pourquoi.
Résumé
Un majordome en fin de carrière prend quelques jours de vacances. Il emprunte la voiture de son employeur, qui l’a pratiquement forcé à prendre ce congé, et décide de passer les prochains jours à explorer un peu l’Angleterre. Il en profitera aussi pour visiter une vieille collègue, qu’il espère convaincre de reprendre ses fonctions avec lui. Ces rares jours de repos seront pour lui une occasion d’introspection, et il repensera à sa vie, à sa carrière, et à ce qui aurait pu être.
Impressions
Au début, j’attendais l’élément déclencheur. Puis, vers la moitié du livre, j’ai accepté qu’il n’y en aurait pas. Et à la fin, j’étais emplie de respect pour cet auteur qui a réussi à prendre une histoire somme toute ordinaire pour en faire un petit bijou.
L’histoire est narrée par Stevens, un majordome qui est l’image même du serviteur anglais digne et dévoué, comme en voit dans des films comme Downton Abbey ou dans Batman. Sa vie a toujours été consacrée à son employeur, un homme très important qui donnait des réceptions mondaines rassemblant des gens de renommée mondiale. Stevens est convaincu que le rôle de gens comme lui est de servir au mieux leurs supérieurs pour que ceux-ci puissent faire leur meilleure contribution possible dans le monde, alors il prend son emploi très au sérieux.
Selon Stevens, la qualité des plus grands majordomes est la dignité, qu’il décrit comme la capacité à incarner son rôle complètement et sans arrêt. Le seul moment où il peut se départir de son rôle, c’est quand il est complètement seul. Ça explique en partie la froideur étonnante de Stevens pour les gens qu’il aime le plus. Quand sa collègue et amie tente de se faire une place dans son cœur, elle se heurte à une porte fermée à double tour. Quand son père, qui travaille avec lui, agonise dans une chambre, Stevens va le voir de temps en temps, mais seulement quelques minutes à chaque fois, car des choses d’une importance capitale se déroulent dans le salon.
Il est peut-être froid, mais il n’est pas indifférent, surtout pas pour son employeur. Sa loyauté envers lui est inextinguible. Quand on essaie de lui extirper des informations sur les discussions qui se déroulent derrière les portes closes, il répond qu’il ne sait pas, même s’il ne peut pas s’empêcher d’entendre certaines choses. Quand on lui demande s’il n’est pas curieux de ce qui se trame sous son nez, il rétorque que ce n’est pas son rôle d’être curieux. Même quand on essaie de lui faire remarquer que son employeur, malgré toutes ses bonnes intentions, se fait enfiroiper par les nazis, Stevens rétorque qu’il lui fait pleinement confiance. Et il retourne à son poste, au cas où ces messieurs auraient envie d’un rafraîchissement.
Il y avait quelque chose de pathétique et de vraiment amusant avec l’attitude toujours parfaitement correcte et professionnelle de Stevens. Par exemple, son nouvel employeur, qui est américain, fait des blagues, ou des “badineries”, comme dit Stevens, et le pauvre n’a aucune idée comment répondre. Ça le préoccupe beaucoup, et il se met à étudier la question avec beaucoup de sérieux. Il finit par oser répondre avec d’autres plaisanteries, mais évidemment, elles tournent court. Je ne vais même pas vous donner d’exemple, tellement elles sont loin d’être drôles. Tout est calculé, et ses rires sonnent faux, même sur la page. Il est impensable de l’imaginer être familier avec quelqu’un. Une autre fois, son employeur lui demande, pour une raison qui m’est restée obscure, s’il pouvait se charger d’expliquer à son filleul comment les bébés sont faits. Vous pouvez imaginer le malaise.
Il y avait donc un bonne dose d’humour dans ce livre, mais à la fin, j’ai eu une larme. Parce que cet homme, avec tout son professionnalisme, n’a pas pu développer toute une partie de sa personnalité, au point où il ne sait même pas si elle existe. Il se croit insignifiant devant ses employeurs, mais à mes yeux de lectrice, ses employeurs ne sont pas plus intéressants que lui. Et toute sa vie émotionnelle et sociale a été mise de côté pour eux.
Si vous avez besoin que les romans aillent vite, celui-ci n’est certainement pas pour vous. Mais j’ai adoré cette lecture, et je la recommande à ceux qui aiment prendre le temps de s’attarder sur les petites choses pour en voir la beauté cachée.
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