La guérison du coeur
J’ai été diagnostiquée avec la colite ulcéreuse quand j’avais 15 ans. Un peu jeune pour avoir une maladie chronique. J’étais en pleine puberté, j’avais mon premier chum, et tout à coup, après avoir perdu du sang et beaucoup de kilos pendant plusieurs mois, je suis bourrée de cortisone et d’immunosuppresseurs. Je prends une vingtaine de livres et mon visage gonfle comme un ballon. Dur pour mon estime de soi. Mais au moins, les médicaments font effet. Mon ventre ne saigne plus, je vais aux toilettes un nombre normal de fois par jour, je peux manger ce que je veux et je le digère.
Quelques années plus tard, je n’ai plus de symptômes. On me dit que je suis guérie, et j’y crois. Pendant trois ans, je digère normalement sans aucun médicament.
Et puis, en janvier, à l’âge de 20 ans, tout s’écroule de nouveau. Je viens de terminer une session de huit cours, je n’ai pas pu dire non à deux ou trois mandats, j’ai continué à danser, et j’ai un chum beaucoup plus vieux que moi. Je sais qu’après ma session de cégep, mes parents ne sont plus obligés de m’aider financièrement, et que je vais devoir compenser par le métier prodigieusement instable, mais dont je suis complètement gaga, de pigiste.
Je rechute. Je dégringole. J’ai des diarrhées sanglantes quinze fois par jour, je me tords de douleur dans mon lit, boire de l’eau me fait mal, je peux à peine me traîner vers la salle de bain. Encore une fois, on me bourre de cortisone, mais on lieu de prendre du poids, je fais des psychoses. Chaque jour, je fais des crises d’angoisse. Au moment où je m’inquiète le plus pour l’argent, je suis forcée d’être en “arrêt de travail”. Je passe des heures par jour à essayer de prendre soin de moi, je fais du sport, je vois une psychologue, je me repose, je lis des livres de croissance personnelle. Bref, j’essaie de survivre.
Et puis je tombe sur cet entretien de la revue Psychologies avec Guy Corneau, l’auteur de La guérison du coeur. J’apprends que lui aussi est atteint de colite ulcéreuse, et qu’il a tiré de sa maladie des leçons qui ont changé sa vie. Je suis frappée par la similitude de nos symptômes : lui aussi avait des diarrhées sanglantes vingt fois par jour, et lui aussi a été en rémission pendant trois ans avant de faire une rechute dévastatrice.
Je lis le livre. Et je suis jetée à terre.
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Guy Corneau raconte d’abord comment il est passé près de la mort. Quand il a fait sa rechute de colite ulcéreuse, il voulait se guérir aux médecines douces, et il a eu l’idée de faire un jeûne dans une clinique spécialisée. Ce qui n’est pas bête en soi : moi aussi j’ai lu que dans certains cas, faire un jeûne donnait un petit coup de pouce au corps pour combattre les bibittes. Mais la colite ulcéreuse n’est pas une petite bibitte à combattre, et Guy Corneau continuait à avoir des diarrhées sanglantes alors qu’il n’ingérait rien du tout. Il perdait du poids à une vitesse considérable. Il raconte qu’il était si faible qu’il n’arrivait pas à lire, qu’un simple quiz télévisé venait à bout de sa concentration. Ses facultés mentales s’éteignaient..
Et puis, il a eu un révélation. Il a soudainement compris, dans une bouffée de pur bonheur, qu’il était lié à l’Univers entier. Que le bonheur était en lui, et qu’il l’avait toujours été, mais qu’il n’avait pas été capable d’aller le chercher auparavant. Que sa plus grande erreur, ç’avait été de croire qu’il était seul.
Un délire de faiblesse? Peut-être, mais un délire qui est venu lui parler et qu’il n’a jamais oublié. Peu après, son père l’a sorti de force de sa retraite :
Tu sais, c’est vrai que je n’étais pas là quand tu étais jeune, mais aujourd’hui j’y suis et tu vas sortir de la clinique même si tu dois me le reprocher jusqu’à la fin de tes jours!”
Il a été hospitalisé. Retrouvant peu à peu son énergie avec 100 mg de cortisone par jour qui le mettait dans un état d’excitation artificielle et avec des nutriments qu’on lui injectait par intraveineuse, il continue son délire. Il hallucine des personnages qui le représentent. C’est cet épisode qui le convainc d’écrire ce livre.
Sans faire l’apologie de la douleur, et sans vouloir prétendre que l’Univers veut nous “apprendre” quelque chose en nous faisant subir de telles épreuves, Guy Corneau est convaincu (comme moi) que les maladies graves nous donnent l’occasion de nous recentrer sur nous-mêmes, et qu’elles nous pointent sans équivoque les parties de nous-mêmes qui nous ont précipité vers le mur. Quand on est malades, on n’a pas le choix d’arrêter, de revoir nos priorités, de s’apercevoir que la terre ne s’arrête pas de tourner sans nous, de laisser tomber nos masques, de se montrer vulnérable et de laisser les autres s’occuper de nous.
Guy Corneau affirme que toutes les personnes atteintes de colite ulcéreuses qu’il a rencontrées étaient des “performantes angoissées”. Quand j’ai répété ça à un ami, il a éclaté de rire. “Je n’enlèverais pas un mot pour te décrire, et je n’en rajouterais pas un.”
J’ai réalisé en lisant ce livre que mon sentiment de solitude avait certainement autant à voir avec ma maladie que mon stress. J’ai réalisé qu’une relation amoureuse est certainement une des plus grandes épreuves auxquelles une personne comme moi doit faire face au cours de sa vie, mais qu’en s’y abandonnant, on s’approche de la guérison. J’ai réalisé que ma recherche de bien-être n’est pas un luxe, mais une question de survie.
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Ce livre n’est pas un must pour tout le monde. Il peut sonner comme du charabia pour les personnes qui n’ont pas (encore) subi de douleur intense, qu’elle soit physique ou amoureuse. Il ne parlera peut-être pas autant aux personnes qui ont d’autres maladies graves que la colite ulcéreuse. Mais il semblait taillé pour moi. Ses enseignements me restent encore en arrière-pensée, et rendent plus doux mon rétablissement.
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Les Éditions de l’Homme
24,26 $