Littérature québécoise,  Se distraire

Grande forme

Une amie m’a déjà dit : “C’est facile de se laisser abattre par la vie. Si on veut être heureux, il faut travailler pour.”

Plus le temps passe, plus je suis d’accord avec elle. Il y a tellement de choses qui vont mal dans le monde et le cerveau adore se concentrer sur ce qui va mal. Passer par-dessus cette tendance naturelle demande toute une dose de volonté et d’optimisme.

C’est pour ça que j’ai été tentée par Grande forme, dont le narrateur se laisse emporter par la déprime et l’apathie. C’est à ça que ça ressemble, un humain qui n’a plus envie de faire d’efforts.

Résumé

Si le narrateur a une constante dans sa vie, c’est bien son humeur : “Ce n’est pas la grande forme.” Sa copine, Jeanne, ne cache plus son agacement devant son attitude de limace. Les parents de Jeanne, qui viennent d’aménager chez eux, non plus. Son cousin, chez qui il se réfugie, l’intimide tellement qu’il finit par se débarrasser d’à peu près toutes ses possessions. Et la job qu’il trouve dans un sursaut d’instinct de survie est si déshumanisante que c’en est absurde.

La seule chose qui lui reste, c’est une malle remplie de documents : relevés d’impôts, factures, photos, dessins d’enfance, etc. Et chaque jour, il doit passer une heure en compagnie d’un genre de psychothérapeute avec qui il numérise, un à un et après de longues discussions et analyses, tous les documents qu’elle contient. Tous ces documents sont transférés dans le Nuage et projetés sur un immeuble de la ville pour que tout le monde puisse les voir. Une fois ce processus complété, il sera enfin un bon citoyen.

Impressions

J’ai lu Le meilleur des mondes récemment, et les parallèles à faire sont nombreux. Mais dans Grande forme, l’univers n’est pas décrit à proprement parler. Il n’est pas clair dès le début qu’on n’est pas dans notre monde moderne : on pense seulement que le narrateur est vraiment déprimé. C’est à coup de petits indices par-ci par-là qu’on finit par saisir les conditions dans lesquelles il vit, et par se dire que dans les circonstances, on ne pourrait pas faire autrement.

Mais ce n’est pas un livre déprimant du tout, au contraire. Il m’a fait beaucoup rire. L’apathie du personnage est telle que ça en devient absurde. Ses conditions de travail sont tellement affreuses (il n’a que des pauses de 10 minutes et les toilettes sont trop loin, alors il doit pisser dans une bouteille) et son travail lui-même est tellement impossible (remplir une commande de médicaments à chaque 7 secondes) qu’on en rit. Son cousin est complètement fou, sa copine se fout royalement de lui, et ses séances obligatoires et quotidiennes de numérisation le ruinent pour les années à venir. Difficile de faire pire.

Ce livre n’est pas long, mais il est très rafraîchissant. Adeptes d’humour noir et d’absurde, vous allez l’aimer.