Se distraire

La Route, de Cormac McCarthy

Je vais vous dire quelque chose : je suis un peu tannée d’être confrontée à des livres qui me donnent l’impression de rien comprendre. Pas que le livre est difficile à comprendre : au contraire, l’histoire est on ne peut plus simple, et il n’y a rien de complexe dans la prose de Cormac McCarthy (à part certains passages lyriques qui ne veulent absolument rien dire). Ce que je ne comprends pas, c’est comment ça se fait qu’un tel livre ait pu obtenir le prix Pulitzer, et comment ça se fait qu’autant de lecteurs lui aient donné une note parfaite.

Allez voir les opinions de ce livre sur GoodReads. Une grande majorité des lecteurs (74%) lui ont donné une note parfaite ou presque parfaite, tandis que seulement 3% lui ont donné la pire note. Mais la critique qui a été le plus aimée en est une qui lui donnait une étoile, et la deuxième plus aimée lui donnait 5 étoiles. Les deux sont absolument catégoriques dans leur opinion. Je suis en accord à peu près complet avec la critique à une étoile (très complète d’ailleurs), tandis que je ne comprends aucun des arguments de ceux qui lui donnent une note parfaite. Une telle divergence d’opinion est quand même surprenante. Je suis dans le clan à une étoile. Et vous?

Résumé

Un incident inconnu a complètement ravagé la planète. Le ciel est constamment obscurci par une poussière ou une fumée grise; tout a été brûlé; plus rien ne pousse dans la terre; les plantes et les animaux sont morts; il fait constamment froid. Un homme et son fils (dont on ne saura jamais les noms) marchent vers le sud en espérant que ce soit mieux là-bas et tentent de survivre.

Impressions

Prenons un extrait au hasard.

While the boy slept he began to go methodically through the stores. Clothes, sweaters, socks. A stainless steel basin and sponges and bars of soap. Toothpaste and toothbrushes. In the bottom of a big plastic jar of bolts and screws and miscellaneous hardware he found a double handful of gold krugerrands in a cloth sack. He dumped them out and kneaded them in his hand and looked at them and then scooped them back into the jar along with the hardware and put the jar back on the shelf.

– The Road, p. 142

Ceci était un paragraphe. On a une ligne blanche, puis un autre paragraphe. Vous avez maintenant une très bonne idée de ce à quoi ce livre ressemble. Beaucoup de “and” qui sont supposés donner un style, beaucoup d’énumérations. Beaucoup de scènes qui ne servent pas à grand-chose.

Je suis un peu dure en ce moment. Mais honnêtement, j’ai essayé, pendant tout le livre, de comprendre ce qui avait excité tant les critiques et, apparemment, le lectorat. Et ce que j’ai vu, c’est un style qui devient fatigant très rapidement, des scènes monotones, une histoire qui n’allait nulle part, une relation père-fils qui n’évolue pas, et des dialogues pathétiques. J’avais l’impression de me faire flasher un style d’Auteur avec un grand A devant mes yeux et qu’il fallait que je creuse très loin pour trouver une profondeur là-dedans.

Les gens ont encensé la relation père-fils. Ils ont trouvé que c’est une histoire touchante, qui montre que l’amour triomphe sur tout. Je ne sais pas trop où ils ont vu ça. Premièrement, on ne les connaît pas. On ne sait rien sur eux, ils n’évoluent pas, ils parlent à peine, ils n’ont même pas de nom, et on ne s’attache pas à eux. À part le fait qu’ils soient physiquement ensemble, rien dans les dialogues ou dans les événements ne m’a fait comprendre que leur amour était particulièrement beau et puissant. L’enfant avait toujours peur, le père était toujours austère et protecteur comme un vrai homme viril. Rien de particulièrement poignant là-dedans.

Les gens ont trouvé de la beauté là-dedans, mais je trouve qu’il faut pour ça une imagination assez débordante. Les personnages ont faim et froid tout le temps, tout le paysage est dans des nuances de gris, rien ne pousse et tout le monde est misérable, et, spoiler alert, le père meurt et on ne sait pas ce qui va se passer avec l’enfant. Une fin qui laisse pas mal à désirer et qui ne conclut absolument rien.

Les gens ont trouvé que c’était un livre “épeurant”. À part les deux-trois scènes de cannibalisme qui nous sont jetées dans la figure, je ne vois rien qui peut vraiment faire peur dans ce livre. L’émotion principale que j’ai ressentie était l’ennui; dans ces scènes-là, je n’ai ressenti que du vague dégoût.

Les gens ont trouvé que le style de McCarthy était magnifique, minimaliste et direct. À considérer le nombre de conjonctions de coordination inutiles, les détails insignifiants sur les objets qu’ils trouvent et les envolées lyriques absolument incompréhensibles, je ne trouve ça ni magnifique, ni minimaliste, ni direct. C’est pédant.

Pourquoi, alors, ce livre a eu autant de succès? Selon moi, c’est parce que, comme bien des livres pénibles à lire écrits par des auteurs prétentieux, personne n’ose dire qu’il n’a pas compris, qu’il a trouvé ça plate, qu’il n’a pas vu le point. Ces auteurs font du flafla qui réussit étonnamment à impressionner “l’élite” littéraire. Ça lui fait une réputation, les lecteurs sont vendus d’avance et travaillent très fort pour trouver quelque chose à aimer et ne pas avoir l’air tata.

Avant, ça me donnait l’impression que j’étais simplement un peu bête. Mais après environ 22 ans à lire compulsivement et avoir étudié la littérature pendant un an et demi à temps plein à l’université (avec d’excellentes notes en passant), je commence à assumer que je sais lire, et que mon opinion est parfaitement valable.

Si vous pensez comme moi, je vous conseille cet article dans The Atlantic, qui risque fort de vous faire rire et de vous flatter dans le sens du poil.