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Stiller

À la frontière suisse, un Américain venant du Mexique se fait arrêter parce qu’on le soupçonne de détenir un faux passeport. Pourtant c’est un homme correct, bien mis, il n’a rien à se reprocher, il ne comprend donc pas pourquoi on l’importune. Embêté, il donne une gifle au douanier. On l’incarcère d’autant plus. On demande à M. Stiller de s’expliquer. “Je ne m’appelle pas Stiller! Je m’appelle White.”

Drôle d’histoire que celle de ce Stiller, “parti sans laisser d’adresse”. Dès la préface, on nous avertit qu’on sera dans la confusion. On ne sait pas si ce Stiller est bien Stiller, comme le prétendent toute sa famille et ses amis, ou s’il est ce White au passé rocambolesque. Dans tous les cas, il est forcé à écrire pour raconter la vérité sur son passé. Pendant ce qui semble être des mois, il rédige donc des récits absurdes, dans une cellule ridiculement propre et convenable, à l’image de la Suisse toute entière, qu’il hait profondément. Chaque jour, son procureur vient l’interroger. Mais ce n’est qu’une convention, car tout le monde s’entend pour dire qu’il est Stiller, même ses proches qui viennent le visiter.

Le roman se dit être sur “le désir perpétuel de tout être humain de s’évader de soi-même ; la difficulté de se voir tel qu’on a été créé ; l’incapacité à accepter les autres tels qu’ils sont.” Mais le récit de Stiller est si complexe et absurde, et le personnage est si pince-sans-rire et dur à suivre qu’on ne décèle pas de sentiments chez lui.

Comme exemple, voici un des nombreux dialogues absurdes qui constituent l’essentiel du livre. Ici, entre Stiller et son gardien :

Mon gardien sait déjà qu’elle était la femme d’un sergent américain ; de plus : que ce sergent débarqua par un beau matin et nous surprit dans l’appartement… Trop fatigué pour faire le récit d’un nouveau meurtre, je me contente de dire :

“C’était un type charmant.

-Le mari?

-Il pria sa femme d’aller chez le psychanalyste et elle l’a prié d’en faire autant.

-Et alors?

-C’est tout.”

– p. 85

Seule la postface du procureur, à la toute fin du roman, nous éclaire un peu plus sur le vrai personnage. La meilleure partie du livre, je dirais, le seul endroit où on commence à saisir quelque chose, à remettre le puzzle dans l’ordre, et à comprendre le personnage principal….

Contrairement à la quatrième de couverture, je dirais que c’est un roman sur l’étrangeté des relations. Vu que tout le monde est convaincu qu’il est un autre, Stiller réalise tout le superficiel des rapports humains. Il voit, par exemple, que même s’il n’essaie aucunement de prétendre qu’il est Stiller ou qu’il reconnaît son interlocuteur, les gens qui lui parlent font comme s’il était leur vieil ami. Et comme ils n’ont aucun retour, ils entretiennent la conversation. Ils se mettent sur le pilote automatique, et ils discutent avec un souvenir, comme on discuterait avec une poupée.

C’est aussi un roman sur les décrépitudes amoureuses. La vie de Stiller a peut-être été vide et inintéressante, mais il a connu l’amour difficile. Marié à une belle danseuse froide et fragile, amant de la femme de son procureur, ses relations ont toutes été teintées de lassitude. Peu de passion, vite l’ennui. Pas réjouissant pour les fantasmes de mariage.

Le livre est respectable. Il est superbement écrit, visiblement brillant et profond. Mais je n’ai pas eu beaucoup de plaisir à le lire. La grande majorité du temps, on ne sait pas où l’histoire s’en va. Les anecdotes, comme la forme du livre, sont sans queue ni tête. Les personnages sont étranges, voire repoussants, et on ne s’y attache pas. Je le lisais pour m’échapper un peu dans les mots, les belles phrases, mais certainement pas pour connaître la suite.

Malgré tout, passer à travers un roman complet dans la confusion, c’est un exploit. Il fallait vraiment que l’écriture en vaille la peine. À vous de choisir si vous souhaitez vous plonger dans l’expérience.

Stiller

Max Frisch

Les Éditions Grasset

541 p.

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