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Ma sombre Vanessa, de Kate Elizabeth Russell

Ce livre était dans ma liste depuis longtemps, probablement depuis sa sortie en 2020. J’ai dû l’y ajouter parce qu’il a eu de très bonnes critiques, mais ça ne me tentait vraiment pas de le lire. Selon le peu que je savais, c’était un histoire d’abus de pouvoir. Ça n’allait certainement pas être léger.

Et ça ne l’était pas du tout. Mais c’est, je pense, le seul aspect de ce livre qui ne m’a pas étonnée.

Summary

Vanessa raconte sa relation abusive avec son professeur d’anglais, qui a commencé alors qu’elle avait 15 ans et lui 42. Elle nous raconte ce qui s’est passé à l’époque, puis 17 ans plus tard, alors que le mouvement #MeToo bouleverse le monde et que d’autres filles que le professeur a abusées le dénonce dans les médias.

Vanessa refuse toutefois de témoigner. Elle insiste pour dire qu’il ne l’a pas abusée, qu’il l’aimait, et qu’elle était consentante.

Ce qui n’est pas totalement faux. Mais certainement pas vrai non plus.

Impressions

Je l’ai mentionné, je m’attendais à ce que ce livre soit lourd. Mais je ne m’attendais pas du tout à ce qu’il se lise comme un suspense, ni qu’il soit aussi juste, touchant et nuancé.

Thriller

Vanessa, la jeune élève qui a une relation sexuelle avec son professeur d’anglais, est la narratrice. On a donc droit à tout, du début à la fin : tous les faits et gestes extérieurs qui mènent à cette relation et toutes les pensées intimes de la jeune fille. On voit bien qu’elle est attirée par le professeur, qu’elle lui tourne autour, qu’elle est incroyablement touchée par les compliments qu’il lui fait, qu’elle se sent adulte, différente des autres, et fière d’avoir une relation avec un homme qui semble être en pâmoison devant elle. On voit aussi tout ce que le professeur dit pour la manipuler, et de notre regard externe, on voit très bien qu’il ne s’agit pas d’une histoire d’amour, mais d’une histoire d’abus.

C’est incroyablement frustrant, et on ne peut pas s’empêcher de continuer à lire pour savoir ce qui va arriver. On a envie de secouer Vanessa par les épaules quand on la voit répéter à tout le monde que ce qu’elle a vécu avec son professeur était une histoire d’amour, quand elle l’appelle encore 17 ans plus tard pour revivre des souvenirs avec lui, quand, à 15 ans, elle prend le blâme et accepte toutes les conséquences pour le protéger quand les rumeurs de leur relation sont trop fortes. On aimerait tellement qu’il se fasse emprisonner. On tourne férocement les pages en espérant ce dénouement.

Juste

Je ne m’attendais pas non plus à un récit aussi juste et aussi touchant, parce qu’on voit l’ambivalence de Vanessa. On voit qu’elle n’est pas complètement à l’aise avec lui, qu’elle se rend compte qu’elle ne connaît rien de lui, qu’elle fait l’amour alors qu’elle n’en a pas vraiment envie, qu’elle se demande parfois si elle se fait violer. On a accès à sa colère envers lui, à son insécurité et à sa solitude. On finit par comprendre, en même temps qu’elle, que son insistance à dire que son histoire en était une belle est une tentative de se convaincre elle-même. Elle était tellement jeune quand c’est arrivé qu’elle en est restée marquée à vie. De plus, elle n’a presque rien connu d’autre, l’emprise du professeur sur elle était trop forte. Alors si, presque vingt ans plus tard, elle change d’opinion sur un évènement aussi formateur, qui est-elle?

Nuancé

Je n’ai jamais lu un texte aussi nuancé sur la question. Pas nuancé par rapport à la moralité du gars (il n’en a pas, c’est un homme dégueu, merci bonsoir. Ça va faire, l’empathie pour les pauvres hommes qui ne sont pas capables de contrôler leur pénis.) Mais nuancé par rapport à l’expérience de la fille.

C’est vrai qu’elle était partiellement consentante. C’est vrai qu’elle avait des sentiments très forts pour cet homme. On peut comprendre qu’elle ne soit pas d’accord quand on lui dit tout bonnement qu’elle est une victime d’abus. Mais c’est vrai aussi que ce n’est pas elle qui a instigué cette relation, malgré ce que son professeur essaie de lui faire croire par la suite. C’est vrai qu’elle était trop jeune pour comprendre les implications de ce qui était en train de se passer. Et c’est vrai que ce qu’elle voulait, en fait, c’était de la reconnaissance et de l’amour. Pas du sexe.

J’en ai déjà parlé, les histoires “d’amour” entre des adolescentes et des hommes beaucoup plus vieux me font dresser les cheveux sur la tête. Je pense à L’Amant de Marguerite Duras et La Vérité sur l’affaire Harry Quebert de Joël Dicker. Ces deux livres ont connu un bon succès malgré le fait qu’ils font passer l’attirance sexuelle d’hommes pour des jeunes filles impressionnables pour de la romance. Ça me dépasse, parce qu’à mes yeux, n’importe qui ayant vécu ce genre de choses sait tout de suite que c’est n’importe quoi. Néanmoins, ces auteurs, par ignorance ou par calcul, utilisent leur réputation pour propager l’idée fausse et dévastatrice que “l’amour n’a pas d’âge”.

Et puis je lis un livre comme Ma sombre Vanessa, et je me rappelle qu’on va quand même dans la bonne direction. Des femmes éloquentes qui ont vécu ce genre de relations peuvent en parler avec toute la finesse nécessaire pour à la fois défaire les mythes persistants, dénoncer les agresseurs et saisir la complexité des expériences des jeunes filles.

Ce n’est pas une lecture facile. J’ai été dégoûtée la majorité du temps (ce n’est pas agréable de lire des scènes de sexe entre une enfant et un homme adulte), et il m’a un peu déprimée. Mais je crois que c’est un excellent livre, et qu’il est nécessaire.

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