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Devenir son propre patron? Pas si vite.

Ceux qui rêvent de devenir travailleur autonome, pour la liberté, pour ne pas avoir de patron, pour les horaires flexibles : ne rêvez pas si vite. C’est le message de ce petit ouvrage écrit par un brillant pigiste d’expérience.

Étonnant qu’un pigiste soit aussi critique du travail autonome. Mais on ne saura pas les raisons de Jean-Sébastien Marsan pour avoir choisi ce mode de vie : il n’est pas question de lui dans ce livre. C’est plutôt une revue historique du travail autonome, un déboulonnage des mythes reliés à ce mode de travail alternatif. Il se veut à l’encontre des promoteurs du travail autonome qui parlent de celui-ci comme d’une voie certes difficile (au début), mais oh combien réjouissante et épanouissante.

Il donne les chiffres et les faits, qui datent certes de 2001, mais qui n’ont pas dû changer significativement depuis : le travail autonome est ingrat et essentiellement une manière détournée pour les employeurs de baisser leurs frais. Les autonomes n’ont aucune stabilité d’emploi; s’ils tombent malades, ils sont foutus; ils travaillent souvent plus que les salariés pour moins d’argent; et ils en sont fiers, ragaillardis par le discours entrepreneurial à la mode qui affirme que “quand on veut, on peut” (lu par exemple dans Se lancer en affaires à la maison. Commencez dès aujourd’hui à faire prospérer vos affaire à la maison de Valérie Bohigian, ou Comment trouver son idée d’entreprise. Découvrez les bons filons de Sylvie Laferté)” :

Dépourvus d’hygiène de travail, ce sont des bourreaux de travail, et ce dernier est une fin en soi. Volontairement ou non, les autonomes se mettent dans des situations d’une précarité inouïe, à la limite de l’exploitation pure et simple, mais ils affirment malgré tout apprécier leur liberté. Ce sont probablement les seuls travailleurs au monde fiers de se faire exploiter! (p. 83)

Dur coup pour une fille comme moi qui est en quelque sorte tombée dans le travail autonome et qui, charmée, a décidé de ne plus en sortir. Je me suis reconnue quand Jean-Sébastien Marsan affirme que, contrairement aux salariés qui séparent bien travail de vie à la maison, les autonomes mélangent le tout allègrement :

Chez les autonomes, la valeur travail prend une dimension complètement différente. Ils ne distinguent plus travail et vie privée. Ils ne pensent qu’à ça et ne font que ça, travailler. Des obsédés et des possédés du travail. (P. 74)

Et sa description des 5 à 7 de travailleurs autonomes, auxquels je participe avec plaisir, a sonné des cloches :

Pour les autonomes, ces déjeuners-rencontres et 5 à 7 sont surtout l’occasion de briser l’isolement et d’échanger des conseils, plus rarement de discuter d’enjeux collectifs. Certains présentent leur carte de visite avec un sérieux solennel, discutent de possibles “alliances stratégiques”, planifient la “conquête de parts de marché”, dissertent sur les “défis de la mondialisation de l’économie”, bref, ils singent les grands entrepreneurs prospères et les chambres de commerce. (P. 80)

L’auteur affirme aussi que l’emploi à temps plein a permis d’améliorer de façon significative la qualité de vie de la population québécoise dans les années 1945-1975 (p. 116), et qu’il serait une erreur de revenir au travail autonome en tant que société, que cela équivaudrait à retourner aux conditions de travail et d’existence du XIXe siècle (p. 132).

Et aucune compensation pour cette démolition de nos idéaux. Il ne donne pas un exemple de succès en travail autonome, n’assume aucun avantage à ce mode de vie (il mentionne bien qu’il peut être agréable d’être libre de notre emploi du temps, mais sans plus). ll semble tout faire pour décourager les optimistes qui aimeraient se “lancer en affaires à leur compte”.

C’est vrai que les rêveurs devraient peut-être réfléchir davantage à leurs affaires avant de se lancer dans le vide. Mais pour moi qui navigue dans le travail autonome, qui rencontre des gens allumés, qui se débrouillent bien et qui ne regrettent en rien leur choix de vie, c’est peut-être un peu dur. Mais je suis sûr que Jean-Sébastien Marsan était bien au courant de ce côté des choses. Je n’étais tout simplement pas son public-cible.


Devenir son propre patron? Mythes et réalités du nouveau travail autonome

Jean-Sébastien Marsan

17 $ (neuf)